mercredi 24 décembre 2014

VIII. Abraham, la thèse minimaliste

A. Abraham a-t-il existé ?


Sur base des données biographiques exclusive de la Bible, des historiens[1] ont cherché à vérifier l'historicité d'Abraham. Or, la tradition arabo-musulmane connait également un Abraham, ancêtre commun des Israélites et des Arabes. Nous avons souligné dans le premier papier sur l'étude critique du Coran, que le Coran ignorait certains anachronismes avérés de la Bible et apportait surtout des détails nouveaux confortés par l'archéologie. Nous avons soutenu l'origine israélite de récits coraniques divergents des versions bibliques, dont des récits originaux endémiques des Cohanim de Yathrib[2] ont été transmis par des israélites de Yathrib islamisés tels que Ka'b al Akhbâr (652/653), Wahb ibn Munabbih (654/655) ou Abdallah ibn Salâm (650/630) que nous ont transmis à leur tour les exégètes musulmans médiévaux à l'instar de Muhammad ibn Jarîr al Tabari (839/923).

Si Abraham est un personnage important des monothéismes modernes, rien ne suggère néanmoins qu'il soit mentionné dans des sources contemporaines. S'il a existé, il n'aura été qu'un individu seul entouré de sa petite famille, en sorte que rien ne conduit l'historien à concevoir qu'il soit important pour ses contemporains, car il n'est ni roi, ni poète, ni ambassadeur. Il sera irrationel de rechercher des traces directes de son existence, car Abraham, à son époque, ne serait qu'un homme parmi les autres. L'historien se penchera donc sur des indices indirects de son existence. Or, toutes les recherches académiques réalisées à ce jour sont fondées sur les données figurant exclusivement dans les textes bibliques, et de fait la Bible contient des anachronismes.



B. Les anachronismes bibliques

 

La Bible contextualise Abraham aux temps des Philistins (~XIIeS) et des Chaldéens (~IXeS)[3],[4]. Tandis que d'autre part elle situe Abraham vers 1850 BC, suivant la chronologie de la Genèse. De même, les périgrinations d'Abraham sont détaillées à travers le Pentateuque, or, la plupart des villes mentionnées sont inexistantes au XIXeS BC selon les fouilles archéologiques [5],[6]. Ces anachronismes mettent les récits bibliques à mal et suggèrent une rédaction de ces récits entre le IXeS et le VIeS, ce qui coïncide précisément avec l'émergence des premiers royaumes israélites. Les historiens ont toutefois cherché à situer les migrations d'Abraham et de son père d'Ur à Havilla, puis en Egypte et finalement à Canaan. Une thèse sur des voyages pastorals poussés par l'invasion des Amorites a été avancée qui devait avoir pour corrolaire ces migrations consécutives soutenues dans la Bible. Or, le mouvement aurait dû dans ce cas se faire à contre sens, et aucune forme de nomadisme pastoral ne s'est vérifiée pour cette tranche de temps dans tout le Proche-Orient. Le chapitre d'Abraham comme un personnage historique semblait donc définitivement fermé, contenant des anachronismes nombreux et des incohérences archéologiques suggérant une rédaction imaginaire. Mais qu'en est-il pour la version coranique et arabo-musulmane ?


Abraham, et l'ordalie du feu.
Scène parabiblique absente dans la Bible mais chronologiquement pertinente figurant également dans le Talmud (Midrash Bereshit Rabba 38:16).
 
C. Archaïsmes pré-massorétique du Coran et isrâiliyyât :

« Ô gens détenteurs de l'Écriture ! 
Notre apôtre est venu à vous, vous exposant une grande partie de l'Écriture, que vous cachiez et effaçant [aussi] une grande partie de celle-ci. » (5/115)
« Ô Messager ! Que ne t’affligent point ceux qui concourent en mécréance; parmi ceux qui ont dit: « Nous avons cru » avec leurs bouches sans que leurs cœurs aient jamais cru et parmi les Juifs qui aiment bien écouter le mensonge et écouter d’autres gens qui ne sont jamais venus à toi et qui décalent les mots de leurs bornes. Ils disent : "Si vous avez reçu ceci, acceptez-le et si vous ne l’avez pas reçu, soyez méfiants". Celui qu’Allah veut éprouver, tu n’as pour lui aucune protection contre Allah. Voilà ceux dont Allah n’a point voulu purifier les cœurs. A eux, seront réservés, une ignominie ici-bas et un énorme châtiment dans l’au-delà. » (5/41)


Le Coran reproche aux israélites de déformer la Torah en réorganisant l'agencement des mots (car les lettres se suivaient encore dans certains rouleaux sans espace en continu et il n'existait pas encore de voyelle écrite en hébreu à l'époque de Muhammad), et il contient des détails corroborés par l'archéologie. Des midrachim des israélites de Yathrib rejoignent en effet des récits coraniques, comme le fait que Pharaon aurait été récupéré des eaux agonisant -point intriguant que soutenaient les Juifs de Médine selon les isrâliliyyât rapportés dans les ouvrages de hadiths-, détail important car aucun des pharaons de l'époque précédant l'implantation des proto-israélites en Canaan ne manquait. Le Coran rapporte donc une version archaïque des récits, antérieurs à la standardisation des massorètes qui continuaient les travaux des anciens sages (soferim, amoraïm, ...) du temps de Muhammad. Nous disposons donc dans le Coran, d'une version inédite et parabiblique très intéressante. Il semble de même vraisemblable que des souvenirs autochtones arabe du fameux patriarche légendaire accompagnent la version israélite pré-massorétique des récits sur Abraham.

La version massorétique de la Bible, la Massorah, porte la griffe culturelle du courant hellénistique Alexandrin ainsi que de la culture babylonienne et comporte des anachronismes suggérant une réécriture yahvite et sacerdotale vers les VIIeS et VeS avant l'ère chrétienne. Ces anachronismes sont en réalité des artéfacts marquant la signature du déchiffrage érudit et de la standardisation des manuscrits dans les milieux érudits lors de l'exil en Babylonie et en Egypte qui en constituent un terminus ante quem. Ces études de déchiffrement ayant fait dériver la Thora, au gré des études midrachiques bibliques, pour la rapprocher des croyances babyloniennes et de leurs mythes. Par ailleurs, soulignons l'influence de la déportation des israélites à Babylone, n'ayant pas épargné la version hellénistique telle que la Septante -traduite en grec vers 270 avant Jésus-Christ-, dans le processus de fixation du canon en grec ; ce qui relie la version hellénistique et la Massore plus en amont, qui s'écartant plus en aval de par l'influence gréco-romaine sur le codex grec. Une influence secondaire de la Septante sur la version finale de la Massore -la première bénéficiant d'une structure type fixée par des anciens- apparaît avoir dû servir de référence pour l'organisation générale de la segmentation en chapitres, paragraphes et mots des rouleaux, lors du triage des manuscrits en hébreu. En effet, leur forte proximité structurelle en comparaison avec la grande variété de la construction des chapitres constatée dans les manuscrits de la mer Morte n'échappe pas à une analyse paléographique soutenue.

Le fait que Muhammad critique les israélites de transformer la Thora, apparaît ainsi être un écho de reproches des Cohanim de Yathrib à l'encontre des massorètes qui triaient les manuscrits et les grilles de lectures à l'époque du Prophète. Le Coran rejoint des midrachim marginaux, pouvant remonter à avant l'époque de Jérémie, lors de l'exode de Lévites vers l'Arabie pour échapper à la déportation vers Babylone. La Bible perdra de fait leur trace au fil du temps. Les israélites de la tribu des banu Qoraiza ayant pris résidence à Yathrib s'affirmant être de la lignée Lévite d'Aaron selon les ouvrages d'histoire médiévaux arabo-musulmans[7]. Mais quel est l'apport du Coran concernant Abraham dans ce cas ?

Réorganisation Thora
Les massorètes triaient les manuscrits et les versions à l'époque de la rédaction du Coran.




Massorah

Ci-dessus, le schéma de la filiation paléographique des codex bibliques.


D. Les détails sur la vie d'Abraham selon le Coran
 
De façon étonnante, tous les détails rapportés par le Coran au sujet d'Abraham apparaissent archéologiquement plausibles et les récits du patriarche d'apparence décousus acquièrent -sous l'optique de la critique-historique et la réimplantation de ceux-ci dans le contexte historique considéré être celui d'Abraham- une cohérence profonde renforçant la pertinence de leur historicité. Analysons les éléments chronobiographiques du Coran afin d'en vérifier la valeur historique et archéologique pour la période qui nous intéresse, à savoir la période d'Isin-Larsa (2004-1763 BC) aux débuts de la période paléo-babylonienne.


D-1. L'hénothéisme mésopotamien et Abraham :

Que dit le Coran au sujet du patriarche légendaire ? Abraham a privilégié le plus grand des dieux du panthéon de sa cité en abandonnant le culte des dieux tutélaires (6/76-79), et en détruisant leurs effigies (21/51-70). La religion dans la région ressort en effet comme étant propice à une pareille réforme, car les écrits mésopotamien de l'époque montrent que chaque divinité était adorée prioritairement en fonction de sa propre localité.

Il est évident que la notion de monothéisme du temps d'Abraham n'atteindra pas la rigueur du temps de Muhammad, et ceci est un fond sémantico-historique à bien souligner. Remarquons que la Bible elle-même situe à une époque plus récente Hachem comme un dieu s'opposant aux idoles des nations. C'est encore le dieu d'un peuple, qui se manifeste exclusivement aux enfants d'Israël. A l'époque présumée d'Abraham, la dimension sémantico-cognitive de dieux consiste encore en une idée de puissances surhumaines, tantôt en guerre, tantôt en paix. D'après le Coran, il apparaît que le dieu d'Abraham, n'est encore que le Seigneur des dieux, tenu pour entièrement dominer les dieux tutélaires. Il faut donc concevoir l'histoire du monothéisme comme un continuum, en sorte que chercher une forme de monothéisme de type moderne à l'époque présumée d'Abraham serait une erreur d'approche historico-critique. Il est remarquable que le statut des Anges bibliques, (ma'lak ou en hébreu מלאך signifiant puissancesemble dans une large mesure se superposer avec le statut mésopotamien paléo-babylonien des dieux tutélaires, mais ayant subis une reformulation sémiologique au fil de la dérive sémantico-linguistique.


D-2. Enlil, créateur du ciel et de la Terre et seigneur des dieux :

Abraham dit : "Ô mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah. Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé les cieux et la terre; et je ne suis point de ceux qui Lui donnent des associés." » (6/76-79)
Dans Ur, ville native présumée d'Abraham, c'est Enlil qui a, selon le Chant de la houe, séparé le ciel et la Terre et donc créé ciel et Terre. Il est donc permis d'imaginer que le Démiurge évoqué selon ce verset par Abraham fût Enlil, Roi des dieux durant toute la période paléo-babylonienne. Le dieu protecteur le plus important au gré des chambardements de panthéons, avec une totale impuissance des dieux locaux protecteurs des cités.

Enlil décide du destin des royaumes en commandant les dieux et les astres. Ainsi, c'est Enlil qui délègue des pouvoirs et missions aux dieux tutélaires selon son dessein, qui pourvoie la nourriture des hommes... Ainsi ce passage du Coran rejoint deux croyances concernant le plus grand des dieux paléo-babyloniens : la création et le pouvoir de déléguer les missions aux dieux tutélaires (voir infra point D-5.).



Enlil parle


Ci-dessus, une representation d'Enlil, Roi des dieux céleste. Selon le Coran, il semblerait qu'Abraham aurait laissé entier le seigneur des dieux en détruisant les idoles des autres cités adorés dans le temple.


« Enlil, roi de tous les pays, Père de tous les dieux, en son décret inébranlable, avait délimité la frontière entre Ningirsu (le dieu de Lagash) et Shara (le dieu d'Umma). Mesilim, roi de Kish, la traça sous l'inspiration du dieu Ishtaran et érigea une stèle en ce lieu. Mais Ush, l'ensi d'Umma, violant à la fois la décision divine et la promesse humaine, arracha la stèle de la frontière et pénétra dans (le district de) la Plaine de Lagash. Alors Ningirsu, le champion d'Enlil, suivant la prescription de ce dernier, déclara la guerre aux gens d'Umma. Sur l'ordre d'Enlil, il jeta sur eux le Grand Filet et établit dans (le district de) la Plaine les tumuli funéraires (honorant ses morts). »
(Extrait du cône d'En-metena.)



D-3. Les dieux du soleil, de la lune et de Vénus en Mésopotamie :



« Quand la nuit l'enveloppa, il observa un astre, et dit : "Voilà mon Seigneur !" Puis, lorsqu'elle disparut, il dit : "Je n'aime pas les choses qui disparaissent". Lorsqu'ensuite il observa la lune se levant, il dit : "Voilà mon Seigneur !" Puis, lorsqu'elle disparut, il dit : "Si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes du nombre des gens égarés". Lorsqu'ensuite il observa le soleil levant, il dit : "Voilà mon Seigneur ! Celui-ci est plus grand" Puis lorsque le soleil disparut, il dit : "Ô mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah. Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé les cieux et la terre; et je ne suis point de ceux qui Lui donnent des associés." » (6/76-79)
 



Ci-dessus, à gauche, une représentation de Inanna/Ishtar, déesse de Vénus déjà attestée à Sumer (v. 3400-2004 BC.) que le Coran mentionne comme rejetée par Abraham. Dans l'autre image, tout à droite Nanna, dieu lunaire également mentionné comme rejeté par Abraham.



Les mésopotamiens adoraient des dieux astraux secondaires : Nanna/Sîn, déesse de la lune, Utu/Shamash, dieu du soleil et Inanna/Ishtar, déesse de Vénus... Or, le Coran mentionne l'adoration de ces astres tout comme celle de statues de dieux organisés suivant une hiérarchie avec le Seigneur des dieux à leur tête, en conformité avec le paysage mésopotamien de la période paléo-babylonienne.

Les nombreux syncrétismes, changements incessants de panthéons au gré des conflits font que le récit du jeune Abraham, dérangé par ces bouleversements de panthéons incessants, ayant déclaré son déni des dieux éphémères (impuissants à faire cesser les guerres et la destruction) semble fort pertinent. Son insistance sur leur impuissance à travers les récits est en effet fort caractéristique.

L'époque considérée est par ailleurs caractérisée par les progrès en astrologie qui permettent de réaliser que les astres, qui sont toujours tenus pour des divinités qui président le destin des hommes, suivent un plan prédictible par l'observation et les mathématiques. Après des siècles d'observation minutieuses des astres, des tablettes écrites en écriture cunéiformes dénommées Enûma Anu Enlil ont été gravées, qui constituent le plus ancien témoignage de l'identification de la périodicité des astres. Ainsi, la tablette 63, appelée tablette de Vénus d’Ammisaduqa donne par exemple la liste des levers et couchers de la Vénus sur un cycle de 21 ans. Ce côté périodique des astres ayant pu conduire Abraham à renier leurs cultes, pour ne vénérer que le Dieu de la destinée.

Ce passage du Coran rejoint donc la réalité du culte des astres à l'époque soutenue comme étant celle du patriarche légendaire. La réaction d'Abraham contestant le côté éphémaire des dieux tutélaires et soulignant les mouvements ordonnés des astres commandés par Enlil, Maître absolu de la Destinée, correspond chronologiquement et géographiquement avec les changements incessants des panthéons au gré des batailles déterminées par Enlil, dans une totale impuissance des dieux locaux protecteurs des cités-États à garantir leurs sécurité. Ces points se recoupent ainsi précisémént à cette époque, et dans cette géographie, avec les guerres incessantes laissant les dieux-locaux protecteurs impuissants, et avec la découverte de la périodicité et la prédictibilité des mouvements des astres qui étaient considérés déterminer le destin des hommes ; et avec le pouvoir ultime du Maître de la Destinée sur le sort des hommes.



D-4. Les cité-États et les conflits de royaumes décidés par Enlil :


[Et rappelle-toi], quand Abraham supplia : « Ô mon Seigneur, fais de cette cité un lieu de sécurité, et fais attribution des fruits à ceux qui parmi ses habitants auront cru en Allah et au Jour dernier », le Seigneur dit : « Et quiconque n’y aura pas cru, alors Je lui concèderai une courte jouissance [ici-bas], puis Je le contraindrai au châtiment du feu. Et quelle mauvaise destination ! » (2/126)

« Enlil, quand tu as délimité les espaces sacrés, tu as aussi construit Nippur, ta propre ville. Tu [...] le Ki-ur, la montagne, ton lieu pur. Tu y as fondé le Dur-an-ki, au milieu des quatre rives de la terre. Son sol est la vie du Pays (de Sumer), et la vie de tous les pays étrangers. Ses briques sont d'un rouge brillant, ses fondations sont en lapis-lazuli. Tu l'as fait scintiller au loin dans Sumer, comme si c'était les cornes d'un taureau sauvage. Il fait trembler de crainte les pays étrangers. Pendant ses grandes fêtes, les gens passent leur temps dans l'abondance. »
(Enlil dans l'Ekur, l. 65-73.)

 
Selon les croyances de l'epoque paléo-babylonienne, c'est Enlil qui détenait les tables de la destinée (à rapprocher du Lahw'il-Mahfudz), qui pouvoyait la nouriture des hommes en protégeant leurs cités. C'est encore Enlil qui déterminait les frontières des royaumes en désignant les rois. La fondation de l'espace sacré de la Mecque, tenue pour inviolable (cnfr. Sourate al-Fil), et la prière d'Abraham de la sécuriser et d'en approvisionner en nourriture les habitants, semblent bien perpétuer des croyances s'ancrant directement dans le berceau socio-anthropologique d'Abraham. La promesse d'un territoire et d'une très grande progéniture qui aurait été faite à Abraham en rêve par Enlil, l'ayant sauvé des flammes, semble consister -avec a/ le règne oublié des israélites en Egypte du temps de Jacob et b/ avec l'héritage de Canaan retiré aux égyptiens sous Ramsès III après quarante ans d'exil pastoral dans le désert d'Arabie (pour fuire la surtaxation)-, en la conservation aussi puissante de tels souvenirs qui devaient perpétuer et justifier initialement l'histoire de la fondation des royaumes d'Israël par la puissante main d'Enlil. Les récits décousus des patriarches perpétués jusqu'à la fondation des royaumes d'Israël viseraient ainsi originellement à en expliquer les origines ultimes, qui auront été effacées par l'effet de l'acculturation, mais qui retrouvent ainsi toute leur substance et leur force dans la version pré-massorétique conservée dans le Coran.

Ne manquons pas de souligner comme une approche herméneutique soutenue et une rigueur hisorico-critique avancée, font qu'une cohérence profonde à plusieurs niveaux des récits fondateurs ressort en arrière plan, qui constitue un indice coercitif réfutable plaidant en faveur d'une origine historique véritable.



N’as-tu pas su (l’histoire de) celui qui, parce qu’Allah l’avait fait roi, argumenta contre Abraham au sujet de son Seigneur ? Abraham ayant dit : « J’ai pour Seigneur Celui qui décide de la vie et la mort », « Moi aussi, dit l’autre, je décide de la vie et de la mort. » Alors dit Abraham : « Puisqu’Allah fait venir le soleil du Levant, fais-le donc venir du Couchant. » Le mécréant resta alors confondu. Allah ne guide pas les gens injustes. (2/258)

« Sans Enlil la Grande-Montagne, aucune ville n'aurait été construite, aucun habitat n'aurait été érigé ; aucun enclos à bétail n'aurait été construit, aucune bergerie n'aurait été établie ; aucun roi n'aurait été élevé, aucun seigneur ne serait né ; aucun grand-prêtre ou grande-prêtresse n'accomplirait l'extispicine ; les soldats n'auraient pas de généraux ou capitaines. »

(Enlil dans l'Ekur, l. 109-114.)

Nous avons plusieurs fois insisté sur le fait que c'est Enlil déterminait les chambardements des panthéons au gré des guerres. C'est lui qui déléguait des pouvoirs aux dieux selon ses décisions. Le culte des dieux de la lune, du soleil et de Vénus circulait en Mésopotamie vers cette époque au gré des conflits des royaumes de la région et particulièrement durant les confrontations entre les royaumes d'Isin et de Larsa. En guise d'exemple aux nombreux changement de panthéons à Ur, citons l'exemple du roi Shu-ilishu (1984-1975 BC), qui en restaurant Ur un siècle avant Abraham, fera notamment revenir la statue du dieu lunaire Sîn (Nanna) emportée à Élam en 2004 à la ville natale du patriarche.

Le reproche qu'Abraham fait à l'encontre des dieux éphémères apparaissant plausible à une époque où les panthéons changent de façon incessante au gré des conflits orchestrés par Enlil entre les cité-États par des syncrétismes ou par acculturation, coïncident très précisément avec la découverte de la périodicité des mouvements des astres et leur prédictibilité, renforçant le rôle de maître du Destin d'Enlil, Seigneur des dieux.

Ce passage mentionnant une confrontation d'Abraham au Roi d'Ur qui parraît décousu acquiert par ailleurs une cohérence profonde, puisqu'il lie le don de la royauté à celui-ci par le plus grand des dieux (Enlil) aux arguments d'Abraham sur la toute puissance d'Enlil. Sachant que c'est Enlil qui décrétait les rois selon les croyances de cette époque. Abraham soutenant que celui-ci décide de la vie ou de la mort, une autre caractéristique d'Enlil selon les croyances de l'époque, acquière ainsi une dimension inédite. L'allusion au lever du soleil décrété par Enlil achève le fond sémantique oublié de la confrontation, à savoir qu'en décidant des mouvements des astres, Enlil définit le destin des hommes que leurs mouvements devaient présider. Enlil commandant finalement par la même occasion pleinement les dieux tutélaires. Ainsi, nous retrouvons le raisonnement primitif d'Abraham : c'est Enlil qui a désigné l'interlocuteur d'Abraham roi d'Ur, lequel refuse de renier les dieux protecteurs impuissants à garantir la paix, or seul Enlil décide de la vie ou de la mort et non les idoles. Et, c'est Enlil qui destine entièrement en ultime maître leur sort en commandant ces astres qu'ils vénèrent, les faisant mourir ou vivre selon son dessein immuable.




D-5. Les dieux mésopotamiens forment une hiérarchie, Abraham aurait poussé l'hénothéisme vers une forme de monolâtrie :


« En effet, Nous avons mis auparavant Abraham sur le droit chemin. Et Nous en avions bonne connaissance. Quand il dit à son père et à son peuple : "Que sont ces statues auxquelles vous vous attachez? ". Ils dirent : "Nous avons trouvé nos ancêtres les adorant". Il dit : "Certainement, vous avez été, vous et vos ancêtres, dans un égarement évident". Ils dirent : "Viens-tu à nous avec la vérité ou plaisantes-tu? ". Il dit : " Mais votre Seigneur est plutôt le Seigneur des cieux et de la terre, et c'est Lui qui les a créés. Et je suis un de ceux qui en témoignent. Et par Allah! Je ruserai certes contre vos idoles une fois que vous serez partis". Il les mit en pièces, hormis [la statue] la plus grande. Peut-être qu'ils reviendraient vers elle. Ils dirent : "Qui a fait cela à nos divinités? Il est certes parmi les injustes". (Certains) dirent : "Nous avons entendu un jeune homme médire d'elles; il s'appelle Abraham". Ils dirent : "Amenez-le sous les yeux des gens afin qu'ils puissent témoigner" (Alors) ils dirent : "Est-ce toi qui as fait cela à nos divinités, Abraham? " Il dit : "C'est la plus grande d'entre elles que voici, qui l'a fait. Demandez-leur donc, si elles peuvent parler". Se ravisant alors, ils se dirent entre eux : "C'est vous qui êtes les vrais injustes". Puis ils firent volte-face et dirent : Tu sais bien que celles-ci ne parlent pas". Il dit : "Adorez-vous donc, en dehors d'Allah, ce qui ne saurait en rien vous être utile ni vous nuire non plus. Fi de vous et de ce que vous adorez en dehors d'Allah! Ne raisonnez-vous pas? " Ils dirent : "Brûlez-le Secourez vos divinités si vous voulez faire quelque chose (pour elles)". Nous dîmes : "Ô feu, sois pour Abraham une fraîcheur salutaire". Ils voulaient ruser contre lui, mais ce sont eux que Nous rendîmes les plus grands perdants. » (21/51-70)


Statues du panthéon sumérien tel que retrouvé dans un temple sumérien datant du IIIe millénaire.

Il est assez caractéristique, comme il est possible de le constater sur l'image supra, qu'en Mésopotamie, les idoles les plus influentes étaient, comme souligné dans le Coran par la bouche d'Abraham les plus imposantes en taille. Ceci aussi, renforce la probabilité d'un souvenir authentique perpétué au gré des générations. Sachant que la rédaction des écrits chez les israélites a commencé vers le IXeS BC, la transmission orale de ces récits a dû se perpétuer oralement environs durant une trentaine de générations de sages.

Ces récits constituant la racine de la promesse de la royauté en Canaan promise à Abraham, en conformité avec cette caractéristique d'Enlil, maître de la destinée qui détermine les frontières, détruit ou protège les cités. Abraham, en détruisant les idoles protectrices des cités, semble vouloir montrer leur inutilité et leur impuissance.



D-6. Démon, enfer, jugement et résurrection :

 D-6.1. Des dieux protecteurs impuissants :

Lorsqu'il dit à son père : " Ô mon père, pourquoi adores-tu ce qui n'entend ni ne voit, et ne te profite en rien ? Ô mon père, il m'est venu de la science ce que tu n'as pas reçu; suis-moi, donc, je te guiderai sur une voie droite. Ô mon père, n'adore pas le Démon, car le Démon désobéit au Tout Miséricordieux. Ô mon père, je crains qu'un châtiment venant du Tout Miséricordieux ne te touche et que tu ne deviennes un allié du Démon". Il dit : " Ô Abraham, aurais-tu du dédain pour mes divinités ? Si tu ne cesses pas, certes je te chasserait à coups de pierres, éloigne-toi de moi pour bien longtemps ". " Paix sur toi ", dit Abraham. " J'implorerai mon Seigneur de te pardonner car Il a m'a toujours comblé de Ses bienfaits. Je me sépare de vous, ainsi que de ce que vous invoquez, en dehors d'Allah, et j'invoquerai mon Seigneur. J'espère ne pas être malheureux dans mon appel à mon Seigneur ". Puis, lorsqu'il se fut séparé d'eux et de ce qu'ils adoraient en dehors d'Allah, Nous lui fîmes don d'Isaac et de Jacob; et de chacun Nous fîmes un prophète. (19,42-49)


Ce récit semble établir un rapport entre les guerres incescentes et un démon usurpateur. Il semble permis d'entrevoir dans cet échange d'Abraham avec son père au sujet d'idoles ne parvenant décidément pas à arrêter les guerres et justifier leur fonction de protecteurs des cités, une crainte chez le jeune Abraham d'un fourvoiement causé par un démon infernal destructeur. L'incapacité et l'impuissance des statues à faire cesser les guerres semble être lié par Abraham à un défi à Enlil par Nergal ou un démon infernal causant la destruction. Il est à souligner que Nergal semble apparaître dans les écrits paléo-babyloniens à cette époque ou règne le chaos et la destruction. Ce qui donne à ce passage coranique une pertinence évidente.


D-6.2. Adorer des dieux sans l'accord d'Enlil :

Ainsi avons-Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre, afin qu'il fût de ceux qui croient avec conviction. Quand la nuit l'enveloppa, il observa une étoile, et dit : "Voilà mon Seigneur! " Puis, lorsqu'elle disparut, il dit : "Je n'aime pas les choses qui disparaissent". Lorsqu'ensuite il observa la lune se levant, il dit : "Voilà mon Seigneur! " Puis, lorsqu'elle disparut, il dit : "Si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes du nombre des gens égarés". Lorsqu'ensuite il observa le soleil levant, il dit : "Voilà mon Seigneur! Celui-ci est plus grand" Puis lorsque le soleil disparut, il dit : "Ô mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah. [Abraham dit] " Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé les cieux et la terre; et je ne suis point de ceux qui Lui donnent des associés. " Son peuple disputa avec lui; mais il dit : " Allez-vous disputer avec moi au sujet d'Allah, alors qu'Il m'a guidé ? Je n'ai pas peur des associés que vous Lui donnez. Je ne crains que ce que veut mon Seigneur. Mon Seigneur embrasse tout dans Sa science. Ne vous rappelez-vous donc pas ? Et comment aurais-je peur des associés que vous Lui donnez, alors que vous n'avez pas eu peur d'associer à Allah des choses pour lesquelles Il ne vous a fait descendre aucune preuve ? Lequel donc des deux partis a le plus droit à la sécurité ? (Dites-le) si vous savez. Ceux qui ont cru et n'ont point troublé la pureté de leur foi par quelqu'iniquité (association), ceux-là ont la sécurité; et ce sont eux les bien-guidés". Tel est l'argument que Nous inspirâmes à Abraham contre son peuple. Nous élevons en haut rang qui Nous voulons. Ton Seigneur est Sage et Omniscient. (6,79-83)

N
ous avons déjà soutenu supra le contexte socio-anthropologique en Mésopotamie à la période paléo-babylonienne favorable à l'émergence d'une forme archaïque de monolatrie. L'henotheisme caractéristique consistant en un culte autochtone dans chaque cité à un dieu protecteur, les chambardements incessants des panthéons orchestrés par Enlil, maître de la destinée et seigneur des dieux, et comme soulevé dans ce passage du Coran : la découverte de la périodicité des mouvements des astres qui sont ordonnés par Enlil, déterminant le destin des hommes et des cités... Autant d'éléments ayant pu conduire, tel que décrit dans le Coran, à douter et renier le culte des dieux tutélaires pour n'adorer que celui qui est maître de la destinée, et de tout ce qui se trouve dans le ciel comme sur la Terre.



D-6.3. Le retours du royaume des morts à la vie :

Et quand Abraham dit : « Seigneur ! Montre-moi comment Tu ressuscites les morts », Allah dit : « Ne crois-tu pas encore ? » « Si ! dit Abraham; mais que mon cœur soit rassuré ». « Prends donc, dit Allah, quatre oiseaux, apprivoise-les (et coupe-les) puis, sur des monts séparés, mets-en un fragment ensuite appelle-les : ils viendront à toi en toute hâte. Et sache qu’Allah est Puissant et sage. »
(2,260)
Ce verset mentionne le retours du monde des morts à celui des vivants. Quoi que l'idée d'un jour de jugement universel puisse apparaître étranger en Mésopotamie au XIXeS BC, la croyance en la sortie de l'enfer après un jugement par sept annunakis est racconté dans le récit de la Descente d'Innana aux EnfersCeci évoque les récits de la résurrection d'Osiris, qui selon le livre des morts, constitue la croyance de la résurrection des corps. Une certaine ressemblance entre le Livre pour sortir des ténèbres à la lumière en Egypte Ancienne et le rouleau dit d'Abraham suggère une certaine continuité possible entre ces diverses croyances sur le plan historique et chronologique. Il demeure dans tous les cas acquis que la croyance en un retours possible du royaume des morts à la vie se corrobore à l'époque dans la région.


D-7. L'ordalie est une pratique attestée pour cette époque en Mésopotamie :

Ils dirent : "Brûlez-le Secourez vos divinités si vous voulez faire quelque chose (pour elles)". Nous dîmes : "Ô feu, sois pour Abraham une fraîcheur salutaire". Ils voulaient ruser contre lui, mais ce sont eux que Nous rendîmes les plus grands perdants. (21/68-70)

L'épreuve du feu mentionnée dans le Coran et le Talmud est fondée également comme pratiquée à l'époque et consiste en une ordalie. En effet, les personnes accusées sans preuve étaient éprouvées par la noyade, par le bûcher ou en les jetant d'une falaise, et si elles survivaient, on jugeait qu'elles étaient innocentées. Ce qui explique par ailleurs qu'après l'épreuve, Abraham est décrit comme présent chez son père et le quittant tranquilement. Ce qui semblait une contradiction (quand a eut lieu la scène du bûcher, et qu'ont fait les prêtres quand Abraham est sorti vivant du feu ?). Ce genre de contradiction apparente s'élucidant avec la critique historique renforce la pertinence de ces récits. Le Coran soutient, sans autre précision que le bûcher qui devait châtier Abraham se serait éteint (tempête, forte pluie ?) en sorte qu'il soit tenu pour justifié.

Le rapport entre la fonction protectrice des dieux-locaux impuissants à protéger les cités, qui sont détruits par Abraham qui survit au supplice du feu par la main puissante d'Enlil, le justifiant, rejoint par ailleurs le fil conducteur des récits d'Abraham. Enlil était le seul véritable dieu digne d'être imploré pour la protection...


D-7.1. L'ordalie à Babylone du temps d'Hammourabi (1792-1750 BC) :



" 2. Quiconque porte une accusation contre un homme, et que l'accusé va au fleuve et saute dans le fleuve, s'il coule dans le fleuve l'accusateur prendra possession de sa maison. Mais si le fleuve prouve que l'accusé n'est pas coupable, et qu'il en réchappe sans dommage, alors celui qui a porté l'accusation sera mis à mort, cependant que celui qui a sauté dans le fleuve prendra possession de la maison qui appartenait à son accusateur. 25. Lorsque le feu éclate dans une maison, et que l'un de ceux qui sont venus pour l'éteindre jette un œil sur les biens du propriétaire de la maison et s'en approprie, il est jeté dans ce même feu. 108. Lorsqu'une aubergiste de taverne refuse d'accepter du grain au poids brut en paiement d'une boisson, mais prend de l'argent, et que le prix de la boisson est inférieur à celui du grain, elle est condamnée et jetée à l'eau. 129. Si l'épouse d'un homme est prise en flagrant délit avec un autre homme, les deux seront liés et jetés à l'eau, cependant le mari peut pardonner à sa femme et le roi à ses esclaves. 132. Si un homme accuse l'épouse d'un autre, et qu'elle est surprise avec un autre homme, elle doit plonger dans le fleuve pour son mari. 133. Si un homme est prisonnier de guerre, et qu'il existe des subsistances dans sa maison, mais que sa femme quitte la maison et sa foi, et se rend dans une autre maison : parce que cette femme n'a pas respecté sa foi, et s'est rendue dans une autre maison, elle est condamnée en justice et jetée à l'eau. 143. Si elle n'est pas innocente, mais quitte son mari, et ruine sa maison, négligeant son mari, alors cette femme doit être jetée à l'eau. 155. Si un homme promet une fille en mariage à son fils, et que son fils consomme l'union avec elle, puis que le père couche ensuite avec la fille et est découvert, il sera lié et jeté à l'eau. "
(Des extraits du code d'Hammourabi mentionnant l'usage d'ordalie pour éprouver un accusé, et du châtiment par le feu ou la noyade..)


D-7.2. Récit selon Midrash Bereshit Rabba 38,16 :

Rabbi Hiya petit-fils de Rabbi Ada de Yaffo [dit] :

Terah était idolâtre. Un jour, il sortit et chargea Abraham de la vente [des idoles]. Si un homme venait acheter une statue, il lui demandait :"Quel âge as-tu ?" [Le client] répondait: "Cinquante" ou "Soixante ans". [Abraham] disait alors: "Il a soixante ans, et il veut vénérer une statue d'un jour." [Le client] se sentait honteux et partait.

Une femme vint un jour, avec un panier de farine. Elle dit: "Voici pour tes dieux."Abraham prit un bâton, et fracassa toutes les idoles, à l'exception de la plus grande, dans la main de laquelle il mit le bâton. Son père revint et demanda ce qui s'était passé. [Abraham] répondit: "Cacherais-je quoi que ce fût à mon père ? Une femme est venue avec un panier de farine et m'a demandé de les donner à ces dieux." Lorsque je l'ai offerte, un dieu a dit :"Moi d'abord !", un autre "Non, moi d'abord !" Alors, le plus grand s'est levé et a brisé toutes les autres. [Son père] lui dit : "Te moques-tu de moi ? Comment pourraient-elles faire quoi que ce soit ?" [Abraham] répondit : "Tes oreilles n'entendraient pas ce que ta bouche vient de dire ?"

Terah emmena [Abraham] chez Nemrod :
  • [Nemrod] lui dit: "Adorons le feu".
  • [Abraham] lui dit: "En ce cas, adorons l'eau, puisqu'elle éteint le feu."
  • [Nemrod] lui dit: "Adorons l'eau".
  • [Abraham] lui dit: "En ce cas, adorons les nuages, puisqu'ils portent l'eau."
  • [Nemrod] lui dit: "Adorons les nuages."
  • [Abraham] lui dit: "En ce cas, adorons le vent, puisqu'il disperse les nuages."
  • [Nemrod] lui dit: "Adorons le vent."
  • [Abraham] lui dit: "En ce cas, adorons l'homme, puisqu'il résiste au vent."
  • [Nemrod] lui dit: "Ce que tu dis est absurde ; je ne m'incline que devant le feu. Je vais t'y précipiter. Que le Dieu devant lequel tu t'inclines vienne et t'en sauve."
Haran se trouvait là. Il [se] dit : quoi qu'il en soit, si Abraham s'en sort, je dirai que je suis d'accord avec Abraham ; si c'est Nemrod qui triomphe, je dirai que je soutiens Nemrod.

Après qu'on eut jeté Abraham dans le four, et qu'il en fût sorti indemne, on interrogea [Haran] : "Avec qui es-tu [allié]" ? Il leur dit : "Je suis avec Abraham." Ils le prirent et le jetèrent dans le feu, et ses tripes brûlèrent. Il sortit et mourut devant Terah son père. Voici la signification du verset :"Et Haran mourut devant son père."



D-8. Sara, stérile offre une esclave en épouse à son mari :


Dans les tablettes de Nuzi, dans la région natale d'Abraham, plusieurs récits de femmes stériles demandant à leurs maris de leur susciter un enfant par leurs servantes sont rapportés. "Dans un contrat de mariage découvert à Nuzi l'épouse Kelim-ninu s'engage par écrit à donner sa servante comme femme à son mari Shennimma, au cas où elle s'avérerait elle-même stérile. Elle s'engage de plus à ne pas chasser la descendance d'une telle union"[8]. Cela conforte la crédibilité du récit de Sara qui ne parvenant pas à enfanter non plus, offre sa servante Agar à Abraham pour lui donner une descendance.

Le récit de la naissance d'enfants du vieil Abraham renforce l'idée de la promesse de la terre promise à sa descendance. Ce qui rejoint l'idée du dieu qui détermine la destinée des hommes, leur fin, leur continuité et leur vie.
Le fameux code d'Hammourabi aussi fait mention d'un tel usage qui semble être régulière dans toute la région à l'époque qui nous intéresse.

" 144. Si un homme prend une épouse et que cette épouse donne à son mari une servante, et que celle-ci lui donne des enfants, mais que cet homme désire prendre une autre épouse, cela ne lui sera pas permis; il ne devra pas prendre une seconde épouse. 145. Si un homme prend une épouse, et qu'elle ne lui donne pas d'enfants, et qu'il envisage de prendre une autre épouse: si il introduit cette seconde épouse dans sa maison, cette seconde épouse ne peut prétendre à l'égalité avec la première. 146. Si un homme prend une épouse et qu'elle donne à cet homme une servante et que celle-ci lui donne des enfants, si alors cette servante veut prétendre à l'égalité avec l'épouse: parce qu'elle lui a donné des enfants sa maîtresse ne peut pas la vendre contre argent, mais elle peut la conserver comme esclave, la comptant parmi ses servantes. 170. Si une épouse donne des fils à un homme, et que sa servante a également porté des fils, et que le père de son vivant dit aux enfants nés de sa servante: «mes fils», et qu'il les compte avec ceux de son épouse; si ensuite ce père meurt, alors les fils de l'épouse et de la servante diviseront la propriété paternelle en commun. C'est au fils de l'épouse de partager et de choisir. 171. Si, cependant, le père de son vivant n'a pas dit aux enfants nés de sa servante: «mes fils», et si ensuite ce père meurt, alors les fils de la servante ne devront pas partager avec les fils de l'épouse, mais la liberté de la servante et de ses fils leur sera garantie. Les fils de l'épouse n'auront pas le droit de prendre pour esclaves les fils de la servante; l'épouse prendra sa dot, et la donation que son mari lui aura faite, et vivra dans la maison de son mari: aussi longtemps qu'elle vivra elle en usera, cette maison ne sera pas vendue contre argent. Tout ce qu'elle laissera appartiendra à ses enfants. "
(Des extraits du code d'Hammourabi mentionnant le don de sa servante à son époux pour lui donner un enfant.)

D-9. Le nom d'Abraham est attesté dans la région à cette époque :



Parmis les milliers de tablettes et fragments de tablettes écrits en cunéiforme retrouvées à Ebla,
et datés entre -2500 à -2250 nous pouvons lire le mot Abraham. Ce qui renforce la plausibilité de l'existence du patriarche en Mésopotamie à la période paléo-babylonienne.


Des écrits de l'époque confirment que le nom d'Abraham[9] existait bien à cette époque, donc dans la version coranique, tous les éléments existants sont compatibles dans les détails avec les faits archéologiquement avérés et ce tant chronologiquement que géographiquement. Ce qui nous conduit à conclure que l'Abraham coranique est bien crédible, au contraire de l'Abraham biblique[10].




D-10. Le nom du dieu qu'Abraham reconnait seul :

« Il les mit en pièces, hormis [la statue] la plus grande. Peut-être qu'ils reviendraient vers elle. » (21/58)

Il semblerait, comme déjà soutenu plus haut, qu'il s'agisse d'Enlil qui était tenu durant toute la période paléo-babylonienne comme le Roi des dieux. Anu étant relayé à un statut inférieur au sien à l'époque qui nous intéresse. Enlil est un mot sumérien composé de An (ciel) et Lil (souffle), qui donnera le nom El (Ilu.m signifiant dieu.x en akkadien) caractéristique chez les Cananéens et à travers la Bible. Il est remarquable que le nom du seigneur des dieux mésopotamien paléo-babylonien apparaît avoir été conservé malgré la dérive sémantique, puisque le nom "Allah" (الله) se fondé sur le sème El, caractéristique du monothéisme.

Sa fonction de démiurge, maître absolu des cieux et de la Terre, ainsi que de la destinée ayant été perpétué durant plusieurs millénaires. La survie d'Abraham ayant défié les dieux protecteurs tutélaires au châtiment du feu ayant pu renforcer son culte exclusif chez sa descendance, et constituer l'élément fondateur des religions les plus influentes de l'histoire.


Enlil, le Seigneur qui a décidé de produire ce qui est utile.
Enlil, le Seigneur dont les décisions sont immuables,
imagina de séparer le Ciel de la Terre.
Quand le Ciel eut été éloigné de la Terre.
Quand la Terre eut été séparée du Ciel.
Quand le nom de l'Homme eut été fixé,
Quand An eut emporté le Ciel.
Quand Enki eut emporté la terre...
Enlil fit germer de la terre la semence du pays ...

(Hymne à Enlil, poète anonyme époque paléo-babylonienne.)


E. La thèse minimaliste coranique, un ancêtre commun des Arabes et des Israélites vers -1850 du nom d'Abraham en Mésopotamie est une certitude scientifique

Nous avons montré plus haut que le nom d'Abraham est bien fondé comme usité en Mésopotamie à l'époque qui nous intéresse, vers le début du IIeM. D'autre part, il est génétiquement établi, que sur plus de 3000 ans, chacun des Abraham de la Mésopotamie a contribué aux gènes des peuples des habitants Israélites et Arabes de la région. Cela est un fait bien connu en génétique qui est nommé coalescence génétique. D'un point de vue stricte, un ancêtre commun aux Israélites et aux Arabes du nom d'Abraham ayant vécu à Ur vers -1850 s'avère parfaitement fondée. Ce que nous pouvons nommer la thèse minimaliste.

L'existence et l'historicité du patriarche commun des israélites et des Arabes est donc finalement plausible, dans sa version coranique. Si le nom d'Abraham est fondé comme existant à cette époque, que les scènes de sa vie décrites dans le Coran sont probables à cette époque, le récit coranique est donc scientifiquement pertinent. La cohérence avancée d'arrière-plan qui émerge en resituant les récits d'apparence décousus du patriarche à travers le Coran dans leur contexte présumé constitue une base historico-critique réfutable sur leur degré d'historicité. Nous avons donc soutenu ici une thèse minimaliste, fondée sur les avancées en génétique, l'archéologie et la critique historique pour achever notre étude critique.




Proximité génétique entre israélites et Arabes, d'après Michaël Hammer.
On notera la proximité génétique des Arabes du Proche-Orient avec les juifs étant représentés par des triangles.




Diffusion des gènes chez la descendance au gré des générations.



Le rayonement historique des croyances proto-monothéistes des descendants d'Abraham semble se confirmer à partir d'Abraham, avec Akhenaton en Egypte où à régné Ya'qob har parmis ses descendants, et
avec Zarathoustra en Iran, où ont été déportés les israélites sous Nabuchodonozor II.



F. Peroratio :


Le souvenir d'un ancêtre du nom d'Abraham ayant vécu à Ur à l'époque supposée est donc finalement plausible. Les récits de sa vie retenus par le Coran et les isrâliyyât les Cohanim de Yathrib sont parfaitement compatibles avec les acquis historiques et archéologiques. Nous avons soutenu ici que les anachronismes de la Bible sont postérieurs à la fuite de Lévites dans la péninsule arabique avant ou lors de l'exil en Babylonie. En sorte que la voyellisation et les interférences érudites de la Bible aient induit d'une part des anachronismes trahissant une influence des milieux babyloniens des VIeS et VeS, et d'autre part un rapprochement des récits de la Genèse avec la mythologie babylonienne de la même époque.



L'étude des manuscrits de la mer Morte a en effet révélé que les manuscrits de la Thora remontant vers le IIeS avant Jésus-Christ ne possédaient pas encore de partitionnement systématique des écritures en mots, et étaient organisés de façon très variable[11]. Tandis que la version coranique de récits parabibliques serait une version antérieure à l'exil des israélites du temps de Nabuchodonosor II (605/662 BC), considéré comme l'époque vers laquelle la Bible semble avoir comméncé à être couchée par écrit[4]. Il s'agit donc de version influencée par des midrachim originaux conférant des archaïsmes aux récits coranique, pourtant postérieur aux manuscrits disponibles de la Bible, dans sa version hellénisée et influencée par la mythologie babylonienne et retenue dans la Massorah.


Voici un lien qui parle de ce phénomène de mélange génétique des lignées :











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[1] Par les moyens tels que l'archéologie, la paléographie etc.

[2] D. Sidersry. — Les origines des légendes musulmanes dans le Coran et dans les vies des prophètes. ln-8° de vin + 161 pages. Paris, Geuthner, 1933.

[3] (Genèse 21:32-34) : "Ils firent donc alliance à Beer-Schéba. Après quoi, Abimélec se leva, avec Picol, chef de son armée; et ils retournèrent au pays des Philistins. Abraham planta des tamariscs à Beer-Schéba; et là il invoqua le nom de l'Eternel, Dieu de l'éternité, Dieu de l'éternité. Abraham séjourna longtemps dans le pays des Philistins."

[4] The Bible unearthed : archaeology's new vision of ancient Israel and the origin of its sacred texts, New York, Free Press, 2001.

[5] Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée, Bayard et Culture, 2002

[6] Mario Liverani, La Bible et l'invention de l'histoire, Bayard, 2008, p.352, 356

[7] Par exemple, suite à une dispute de certaines épouses du Prophète et de Safiyya d'origine Lévite, le Prophète fait la remarque à celle-ci qu'elle aurait dû leur répliquer : "Comment seriez-vous meilleures que moi, car Muhammad est mon époux, Mon père est Aaron, et mon oncle est Moïse.". ibn Sa’d, at-Tabaqât, II, 108, VIII, 127; ibn Abdilbarr, al-İsti'âb, IV, 1872, al-Tirmidhi, Manâqib, 63.

[8] La Bible à la lulière de l'archéologie, Ligue pour la Lecture de la Bible, p. 32.

[9] Howard La Fay, "Ebla: Splendour of an Unknown Empire," National Geographic Magazine, décembre 1978, p. 736; C. Bermant and M. Weitzman, Ebla: A Revelation in Archaeology, Times Books, 1979, Wiedenfeld and Nicolson, Great Britain, pp. 184.

[10] Dumper; Stanley, 2007, p.142.

[11] Michael Wise, Martin Abegg Jr, Edward Cook, Les Manuscrits de la mer Morte, Perrin, 2003, ISBN 978-2-262-02082-8 (traduit de l'anglais par Fortunato Israël).

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